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5 novembre 2019 2 05 /11 /novembre /2019 10:11

    Ce matin, devant mon miroir, je m’accorde un long moment  beauté pour recevoir mes petits-enfants. Chacune de leur venue est jour de fête, et je tiens à leur faire honneur . Après avoir saupoudré mes joues de rose, allongé mes cils au mascara, voilà le moment de poser « la cerise sur le gâteau » (pour ne pas dire la gâteuse) !

     Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi ce tube de rouge à lèvres dans la boutique. Sans doute son look moderne, sa couleur rouge vif qui va ranimer mon visage déjà un peu flétri.

    Ma main tremblante s’efforce de contenir tout débordement sur ma lèvre supérieure, amincie par les ans. C’est quand même plus facile sur la lèvre inférieure ! Puis petit exercice facial : je  frotte mes babines l’une contre l’autre pour bien étaler cette pâte onctueuse, et là ……

     Une senteur fraîche et sucrée envahit mes narines. Je ne peux empêcher ma langue de venir lécher ce « bonbon » à sa portée. Un goût de framboise se répand dans ma bouche. Un délice que je savoure les yeux fermés. Alors les souvenirs affluent, m’emportent si loin derrière moi.

Printemps 1952 – Dans quelques mois j’allais avoir quatre ans et j’avais l’impression de ne pas grandir assez vite. Ma sœur aînée avait neuf ans et je voulais déjà être comme elle et même la dépasser pour ressembler très vite à ma maman. Elle était  si belle avec ses boucles noires de jais qui tombaient sur ses épaules, comme ces belles andalouses dont elle admirait les photos dans ses revues féminines. A cette époque, j’ignorais encore que c’était cette beauté brune qui avait plu à mon papa,  sa grâce distinguée de fille de la ville achevant de le séduire.

      Pour essayer de me grandir un peu, j’empruntais très souvent ses chaussures à talons, et me lançais dans une expédition scabreuse à travers la maison. Mais gare à ne pas croiser mon père qui n’admettait pas ce genre de fantaisies de la part de ses filles.

     Cependant, ces péripéties ne comblaient pas  mon envie d’être une grande. Alors ….

     Un jour maman dû aller en ville auprès de ma grand-mère qui était  souffrante. Elle s’y rendait en bus et serait donc absente une bonne partie de la journée.

     Tapie dans l’encoignure de la porte de la chambre à coucher de mes parents, j’ouvrais grand les yeux pour épier ma mère qui se préparait.  Après avoir revêtue une jolie robe à fleurs, elle coiffait lentement ses longs cheveux. D’un petit geste délicat, elle déposa quelques gouttes d’eau de Cologne au creux de son cou. Elle ouvrit ensuite la porte de l’armoire à glace et j’aperçus, depuis ma cachette, le reflet entier de sa silhouette dans le miroir. Comme elle était jolie !

Elle sortit une boite à chaussures  du meuble  : le coffre aux trésors dont je rêvais de découvrir les secrets. Je me hissai en vain  sur la pointe des pieds mais ne réussis pas à voir l’intérieur de cet écrin.

     Mais qu’est-ce que maman tenait dans sa main ? On aurait dit un tube, une craie comme celle que ma grande sœur utilisait sur son ardoise.  Ma mère posa ce bâton sur sa bouche et l’agita de gauche à droite, en haut, en bas et ses lèvres devinrent toutes rouges. Je restai bouche bée devant cette couleur qui égayait plus encore son visage.

     C’est donc comme cela que l’on devient jolie quand on est grande ? Juste avec ce gros crayon de couleurs ? Ce ne devait pas être si difficile. Les idées se bousculaient dans ma petite tête et j’échafaudais déjà un plan pour essayer d’être bientôt moi aussi une demoiselle.

     Soudain maman s’agita, regarda sa montre et m’appela :

- Lélette, où es-tu ? Je dois me dépêcher sinon je vais rater mon bus. Je vais voir grand-mère. Papa bricole dans son atelier et si tu as besoin de quelque chose tu l’appelles. Tu dois être sage, je compte sur toi, tu es grande maintenant.

     Après ses recommandations, un baiser parfumé rempli de tendresse, elle s’éclipsa et me laissa plantée là au seuil de la chambre à coucher. Dans sa précipitation, elle avait oublié de ranger la boite aux trésors.

     Je m’approchai timidement, hésitai quelques secondes, et découvris au fond du carton : poudriers, crayon à sourcils, pince à épiler, pinceaux (pourtant maman ne savait pas dessiner !), et bien sûr plusieurs tubes de rouge à lèvres.

     Ma petite main potelée et maladroite se saisit d’un tube, puis d’un autre et se mit à essayer sur la glace de l’armoire  le rose, puis le grenat et enfin le rouge vif… C’était celui-là, oui celui-là dont elle se servait si souvent. Je  commençai alors à peindre ma bouche comme je l’avais vu faire par ma mère. Ouah ! c’était fabuleux, j’avais l’impression d’être une princesse. En tant que « persona grata » je fus donc dans l’obligeance de continuer à embellir mon visage. Blush, poudre, crayon noir, coloraient mes joues, mes yeux et même mes oreilles. Je m’amusais et m’admirais, semant au passage quelques dégâts sur le couvre-lit de mes parents.

     L’euphorie fut hélas de courte durée. Mon père, inquiet de mon silence, et après m’avoir vainement appelée, rentra dans la maison et découvrit « la catastrophe ». Bien qu’il fut un bon père, la colère le saisit et je dû subir un « savon » mémorable …. Le mot n’est pas trop fort ! Il m’empoigna alors par les bras et avec toute la force qui l’habitait m’assit sur la table de la cuisine. Sous l’évier, il prit la cuvette, l’emplit d’eau glacée et le gant de toilette qui servait à toute la famille pour ses ablutions. Sans salle de bains et avec une famille nombreuse, on se devait de faire des économies. Pour ma part, aujourd’hui, je n’utilise plus de gant de toilette !

     Il me semble ressentir encore la brûlure de la friction qu’ imposa mon père à mon visage et à mes mains, tout en maugréant des mots que je ne comprenais pas : « du rouge… du rouge à lèvres… regarde-moi ça,  on dirait une poule !»

     A ce moment-là ma mère revint de sa visite à grand-maman. En me découvrant aux prises avec mon père qui s’escrimait à faire disparaître toute trace de ma bêtise, elle éclata de rire pendant que je pleurnichais et répétais, entre deux hoquets : « rouge poupoule, rouge poupoule ».

     Est-ce le souvenir de  l’embrasement de mes joues qui me ramène à la réalité ? Ne serait-ce pas plutôt celui  du rire cristallin de ma mère résonnant encore à mes oreilles et se mêlant à celui qui monte de ma gorge lorsque j’ouvre les yeux ?

     Dans mon miroir, je viens de découvrir un long trait rouge qui barre ma joue !

     Comme la première fois, ma main a ….. dérapé !

                                                                                     surprise

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