Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 novembre 2019 2 05 /11 /novembre /2019 10:11

    Ce matin, devant mon miroir, je m’accorde un long moment  beauté pour recevoir mes petits-enfants. Chacune de leur venue est jour de fête, et je tiens à leur faire honneur . Après avoir saupoudré mes joues de rose, allongé mes cils au mascara, voilà le moment de poser « la cerise sur le gâteau » (pour ne pas dire la gâteuse) !

     Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi ce tube de rouge à lèvres dans la boutique. Sans doute son look moderne, sa couleur rouge vif qui va ranimer mon visage déjà un peu flétri.

    Ma main tremblante s’efforce de contenir tout débordement sur ma lèvre supérieure, amincie par les ans. C’est quand même plus facile sur la lèvre inférieure ! Puis petit exercice facial : je  frotte mes babines l’une contre l’autre pour bien étaler cette pâte onctueuse, et là ……

     Une senteur fraîche et sucrée envahit mes narines. Je ne peux empêcher ma langue de venir lécher ce « bonbon » à sa portée. Un goût de framboise se répand dans ma bouche. Un délice que je savoure les yeux fermés. Alors les souvenirs affluent, m’emportent si loin derrière moi.

Printemps 1952 – Dans quelques mois j’allais avoir quatre ans et j’avais l’impression de ne pas grandir assez vite. Ma sœur aînée avait neuf ans et je voulais déjà être comme elle et même la dépasser pour ressembler très vite à ma maman. Elle était  si belle avec ses boucles noires de jais qui tombaient sur ses épaules, comme ces belles andalouses dont elle admirait les photos dans ses revues féminines. A cette époque, j’ignorais encore que c’était cette beauté brune qui avait plu à mon papa,  sa grâce distinguée de fille de la ville achevant de le séduire.

      Pour essayer de me grandir un peu, j’empruntais très souvent ses chaussures à talons, et me lançais dans une expédition scabreuse à travers la maison. Mais gare à ne pas croiser mon père qui n’admettait pas ce genre de fantaisies de la part de ses filles.

     Cependant, ces péripéties ne comblaient pas  mon envie d’être une grande. Alors ….

     Un jour maman dû aller en ville auprès de ma grand-mère qui était  souffrante. Elle s’y rendait en bus et serait donc absente une bonne partie de la journée.

     Tapie dans l’encoignure de la porte de la chambre à coucher de mes parents, j’ouvrais grand les yeux pour épier ma mère qui se préparait.  Après avoir revêtue une jolie robe à fleurs, elle coiffait lentement ses longs cheveux. D’un petit geste délicat, elle déposa quelques gouttes d’eau de Cologne au creux de son cou. Elle ouvrit ensuite la porte de l’armoire à glace et j’aperçus, depuis ma cachette, le reflet entier de sa silhouette dans le miroir. Comme elle était jolie !

Elle sortit une boite à chaussures  du meuble  : le coffre aux trésors dont je rêvais de découvrir les secrets. Je me hissai en vain  sur la pointe des pieds mais ne réussis pas à voir l’intérieur de cet écrin.

     Mais qu’est-ce que maman tenait dans sa main ? On aurait dit un tube, une craie comme celle que ma grande sœur utilisait sur son ardoise.  Ma mère posa ce bâton sur sa bouche et l’agita de gauche à droite, en haut, en bas et ses lèvres devinrent toutes rouges. Je restai bouche bée devant cette couleur qui égayait plus encore son visage.

     C’est donc comme cela que l’on devient jolie quand on est grande ? Juste avec ce gros crayon de couleurs ? Ce ne devait pas être si difficile. Les idées se bousculaient dans ma petite tête et j’échafaudais déjà un plan pour essayer d’être bientôt moi aussi une demoiselle.

     Soudain maman s’agita, regarda sa montre et m’appela :

- Lélette, où es-tu ? Je dois me dépêcher sinon je vais rater mon bus. Je vais voir grand-mère. Papa bricole dans son atelier et si tu as besoin de quelque chose tu l’appelles. Tu dois être sage, je compte sur toi, tu es grande maintenant.

     Après ses recommandations, un baiser parfumé rempli de tendresse, elle s’éclipsa et me laissa plantée là au seuil de la chambre à coucher. Dans sa précipitation, elle avait oublié de ranger la boite aux trésors.

     Je m’approchai timidement, hésitai quelques secondes, et découvris au fond du carton : poudriers, crayon à sourcils, pince à épiler, pinceaux (pourtant maman ne savait pas dessiner !), et bien sûr plusieurs tubes de rouge à lèvres.

     Ma petite main potelée et maladroite se saisit d’un tube, puis d’un autre et se mit à essayer sur la glace de l’armoire  le rose, puis le grenat et enfin le rouge vif… C’était celui-là, oui celui-là dont elle se servait si souvent. Je  commençai alors à peindre ma bouche comme je l’avais vu faire par ma mère. Ouah ! c’était fabuleux, j’avais l’impression d’être une princesse. En tant que « persona grata » je fus donc dans l’obligeance de continuer à embellir mon visage. Blush, poudre, crayon noir, coloraient mes joues, mes yeux et même mes oreilles. Je m’amusais et m’admirais, semant au passage quelques dégâts sur le couvre-lit de mes parents.

     L’euphorie fut hélas de courte durée. Mon père, inquiet de mon silence, et après m’avoir vainement appelée, rentra dans la maison et découvrit « la catastrophe ». Bien qu’il fut un bon père, la colère le saisit et je dû subir un « savon » mémorable …. Le mot n’est pas trop fort ! Il m’empoigna alors par les bras et avec toute la force qui l’habitait m’assit sur la table de la cuisine. Sous l’évier, il prit la cuvette, l’emplit d’eau glacée et le gant de toilette qui servait à toute la famille pour ses ablutions. Sans salle de bains et avec une famille nombreuse, on se devait de faire des économies. Pour ma part, aujourd’hui, je n’utilise plus de gant de toilette !

     Il me semble ressentir encore la brûlure de la friction qu’ imposa mon père à mon visage et à mes mains, tout en maugréant des mots que je ne comprenais pas : « du rouge… du rouge à lèvres… regarde-moi ça,  on dirait une poule !»

     A ce moment-là ma mère revint de sa visite à grand-maman. En me découvrant aux prises avec mon père qui s’escrimait à faire disparaître toute trace de ma bêtise, elle éclata de rire pendant que je pleurnichais et répétais, entre deux hoquets : « rouge poupoule, rouge poupoule ».

     Est-ce le souvenir de  l’embrasement de mes joues qui me ramène à la réalité ? Ne serait-ce pas plutôt celui  du rire cristallin de ma mère résonnant encore à mes oreilles et se mêlant à celui qui monte de ma gorge lorsque j’ouvre les yeux ?

     Dans mon miroir, je viens de découvrir un long trait rouge qui barre ma joue !

     Comme la première fois, ma main a ….. dérapé !

                                                                                     surprise

Partager cet article
Repost0
18 juin 2019 2 18 /06 /juin /2019 17:48

 

Ce matin-là, au coin du Presbytère, il s’est arrêté. Figé par la stupeur, il regarde son complice gisant à terre. Il s’avance vers lui à grandes enjambées, et ne fait que répéter : « Ils l’ont tué, ils l’ont tué ! ». Cherchant désespérément du regard autour de lui, il ne fait qu’apercevoir le mur de l’ancien cimetière qui commence à perdre ses vieilles pierres. La tristesse qui l’envahit n’a d’égal que le paysage qui s’offre à lui. La lame acérée de la douleur lui transperce le cœur. Appuyé sur sa canne, le vieil homme veut rester debout, ne pas tomber à terre comme son ami couché là, sur la place de l’église.

 

 Pour chasser ces images insupportables, il se met à lui parler comme il l’a toujours fait :

 

   « Tu te souviens ? Moi, oui. La première fois que je t’ai vu, j’avais à peine 5 ans, c’était au printemps.

Notre institutrice avait décidé d’emmener la classe sur le plateau d’Ecrouves. Quelle aventure pour le gamin que j’étais !      Je n’avais jamais quitté la rue Haute, sauf pour suivre papa aux «Narinvaux» à la cueillette des mirabelles. En passant par ici… je t’ai vu. Tu étais déjà si grand, et moi si petit. Je t’ai aimé tout de suite. Jamais je n’avais vu quelque chose d’aussi beau. Tu lançais tes longues branches vers le ciel, tu étais tout simplement « géant ».

 

A partir de ce jour-là, je n’avais qu’une hâte : venir t’admirer, essayer d’entourer ton tronc de mes bras, et chaque année qui passait voyait grandir mon étreinte.

 

Avec les copains, tu es devenu notre refuge secret. Chaque fois que nous le pouvions, nous grimpions dans tes branches touffues pour nous y cacher ou cueillir tes fleurs qui embaumaient et faisaient le bonheur de nos mères toujours prêtes à servir leur fameuse tisane.

 

Toute ma vie est inscrite dans les rides de ton bois.

 

Parfois, le dimanche après-midi, nous escaladions le plateau avec ma mère et ses amies pour redescendre de l’autre côté,  au Val des Nonnes où une guinguette faisait valser les amateurs de bal musette. Un peu oublié parmi toutes ces guiboles agitées, je décidai un jour de rebrousser chemin tout seul, mais je me suis égaré. Bien fait pour mon esprit rebelle ! J’ai erré longtemps, le visage couvert de larmes, cherchant un repère dans cette vaste étendue qui s’étalait au pied de la colline. Et, je t’ai aperçu. Je t’aurais reconnu entre mille, toi si majestueux, dépassant de loin le clocher de Notre-Dame. J’ai alors dévalé la « grimpette » à toutes jambes pour venir me réfugier dans tes longs bras.

 

Il y a aussi ce soir où la colère de mon père m’a tant effrayé que j’ai fait mon baluchon et, la nuit venue, ma première fugue m’a conduit vers toi. Mais le pauvre gosse de dix ans que j’étais n’a pas résisté plus d’une heure aux hululements étranges de la chouette et au bruissement des feuillages. A l’aventure j’ai vite préféré le doux nid de mon lit !

 

Pourtant, chaque instant passé à tes côtés me remplissait de joie. Tu étais mon havre de paix. La vie à la maison n’était pas toujours facile et, en tant qu’aîné, je me devais d’aider mon père qui travaillait dur pour nourrir sa grande famille. Le ramassage des « patates » n’avait plus de secret pour moi, et la récompense suprême que m’accordait mon père en m’emmenant à la pêche à l’Ingressin, reste à jamais un souvenir de moments intimes trop rares.

 

Les années ont passé et je t’ai raconté chaque évènement : ma joie d’être reçu au Certificat d’Etudes avec mention à l’âge de douze ans ;  mon entrée au Collège de Toul où les journées étaient longues car je m’y rendais souvent  à pieds ou par le « Thiaucourt ». Sous sa cuirasse de fer, mon père cachait un cœur tendre. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il me dit « En sortant du collège, demain, tu iras chez Morel à Toul, je t’ai acheté un vélo ! ». Une bicyclette toute neuve, avec de gros pneus ballons. Bien sûr depuis longtemps je m’exerçais sur le seul vélo que possédait la famille : celui de mon père. Après la corvée de nettoyage de  ses brodequins, je sortais l’engin et essayais de rouler, d’abord en trottinette debout  sur la même pédale, puis plus tard chaque pied sur une  pédale, une jambe passant dessous le cadre de cette trop grande bécane. Alors, MA bicyclette je voulais te la montrer en priorité. J’ai grimpé la rude côte de l’église en pédalant de toutes mes forces et c’est tout essoufflé mais si fier que je l’ai posée délicatement contre toi.

 

Je n’avais plus assez de temps à te consacrer. Aussi, je savourais tous les   moments où je pouvais encore t’approcher, mon ami. La préparation de ma première communion était un de ceux-là. L’église était froide cet hiver mais te sentir tout près me réchauffait. Tu avais perdu tes feuilles, pourtant tu étais  toujours aussi magnifique, avec seulement tes branches luisantes de givre.

 

As-tu compté tous les paroissiens que tu as vus passer ?  Pour les messes, les baptêmes, les communions, les mariages, les enterrements… que de vies ont défilé devant toi. Ont-ils seulement fait attention à toi, ces gens-là ?

 

Je suis devenu un homme, mais toujours si minuscule à côté de toi.

 

Grâce à mon vélo, j’ai rencontré ma promise. Notre première promenade en amoureux a été de venir te saluer. Je revois son visage stupéfait en te découvrant, elle qui venait de la ville où le béton avait commencé à remplacer les  arbres. Nous avons tatoué nos initiales sur ton écorce. Ce geste réticent me coûtait mais je voulais tellement faire plaisir à ma dulcinée !  Comme Philémon et Baucis, rien ne nous a séparé et jusqu’à hier, je pouvais admirer cette gravure, gage de notre mariage qui dure encore. Même la guerre et tout son cortège de malheurs n’avait pas réussi à nous séparer, toi, elle et moi.

 

Comment oublier ces moments d’atrocité. Deux fois, j’ai échappé à la mobilisation à cause de… mes yeux de « miraud ». La troisième fois, mon père m’a empêché de partir à la guerre arguant que la France avait besoin de bras. Je me suis retrouvé travaillant à l’usine, fabriquant des obus, dans une ambiance d’enfer, courant dans le sable bouillant où reposaient les pièces en fonte incandescentes, la poitrine nue, la peau couverte de crasse et de sueur, le bas du pantalon dévoré par les flammèches. A dix-neuf ans, mes rêves d’uniforme s’étaient envolés.

 

Quel avenir pouvais-je espérer dans cette usine ? J’entrai donc aux Chemins de Fer en janvier 1940, et je commençai ma nouvelle carrière de cheminot par les tâches les plus ingrates : déchargement des wagons, nettoyage du foyer des machines. Mon expérience à l’usine m’avait forgé une volonté et des muscles d’acier, et rien ne me rebutait. Remarqué par mes supérieurs, je fus alors formé pour devenir chauffeur de machine. Quelle fierté de conduire une loco à travers la campagne, même si les wagons ne transportaient que de la ferraille !

 

Hélas, quelques mois plus tard, alors que la « drôle de guerre » n’avait fait que nous effleurer par le va et vient  d’avions allemands, nous allions à notre tour connaitre notre « baptême du feu ». L’ennemi était entré en Belgique et les bombes pleuvaient sur le nord de la France. Les trajets que j’effectuais avec mon train devenaient de plus en plus dangereux. Les bombardements s’intensifiaient au fil des jours. Un après-midi, alors que nous préparions notre machine, le mécanicien et moi n’avons pas eu le temps de courir aux abris. A plat ventre sous la motrice, nous avons vu les « Stukas » piquer vers le dépôt et lâcher leurs explosifs dans un fracas épouvantable. Le ballast avait explosé et le rail se dressait à la verticale au bord d’un énorme cratère.

 

Ce fut ensuite la grande pagaille, la fuite des civils embouteillant les routes, ne sachant où aller pour trouver refuge, les militaires effarés marchant en désordre et colportant des bruits sur l’avancement des ennemis et leur barbarie. Notre mère aussi avait décidé de quitter notre maison pour mettre à l’abri mes frères et sœurs. Son voyage ne l’a menée qu’au bout de la rue, le pillage des maisons abandonnées perpétré par ceux qui restaient au village l’a vite dissuadée de continuer son chemin.

 

Souvent, notre église servait d’abri à ceux qui  fuyaient la guerre. Impies ou croyants, ils confiaient leur vie à ce dieu qui laissait les hommes se détruire entre eux. Chaque fois que je l’ai pu, je me suis efforcé d’apporter du réconfort et surtout de la nourriture à ces « réfugiés ». Dans chaque coin du pays, des familles avaient  dû abandonner tous leurs biens, plongeant dans l’angoisse leurs proches qui ne recevaient plus de leurs nouvelles. La peur d’avoir perdu mon aimée me tenaillait.  Mes obligations de conduire ma loco dans une zone protégée, m’avaient éloigné d’elle et  je ne savais pas si j’allais la retrouver. Où était-elle cachée, était-elle encore vivante ? Nous avions forgé tant de projets. Le destin allait-il détruire également nos rêves ?

 

 Je tremblais de peur en entendant les avions volant en « rase-motte » au-dessus de notre sanctuaire, et surtout je pensais à toi mon ami : allais-tu résister à l’éclat de ces bombes qui jalonnaient nos jours et nos nuits ? Pourtant ta présence fidèle m’a permis de garder confiance. Puisque tu étais encore debout après toute cette terreur, je me devais de le rester aussi.

 

Et nous avons bien fait d’être encore là car si la vie apporte son lot d’épreuves elle m’a réservé finalement de nombreux moments de bonheur. D’abord celui d’épouser Martine, ma fiancée,  qui m’a attendu pendant que je me joignais aux maquisards. Entre deux feux de l’ennemi, nous avons réussi à convoler dans une noce simple mais remplie de joies. Moment précieux où plus rien ne comptait que notre amour. L’étincelante lumière qui brillait dans nos yeux effaçait l’horreur et le désespoir qui régnaient autour de nous.

 

Nos deux premières filles sont arrivées, à un an d’intervalle, dès l’année suivante. Ma Martine a alors assuré son rôle de mère comme un « père », trop occupé que j’étais par le conflit et mon travail. Qui eut cru que ce petit bout de femme ait une telle force de caractère !

 

Heureusement, l’ennemi a fini par capituler et cette méchante guerre a pris fin après plus de six ans de souffrances. Enfin la renaissance pour tous et, pour nous, un bonheur supplémentaire : un fils venu compléter notre famille en 1946, le petit prince tant attendu par son père.

 

J’ai dû mettre les bouchées doubles  pour contenter ma tribu et lui apporter le confort qu’elle méritait. Après ma journée dans mon train, et mes soirées aux champs, je devenais maçon, plombier, électricien, carreleur pour retaper la vieille maison qui allait devenir notre nid familial. Rien n’était trop beau pour ceux que j’aimais. Pas question de baisser les bras ! Trois filles et un gars en cinq ans, ça donne à réfléchir  puisque qu’il y aurait bientôt six bouches à nourrir,   une benjamine étant annoncée pour l’été 48 ! Or, à l’époque mes muscles agissaient plus vite que mon cerveau, et c’est tant mieux car mon « âme de bâtisseur » m’a permis d’offrir aux miens une vie confortable  que beaucoup m’ont enviée.

 

Lorsque notre aînée eut douze ans, un nouveau miracle se produisit : un petit frère pointa son nez, un peu jalousé par notre benjamine qui se voyait voler sa place, après sept ans de câlineries ! Bien sûr, je trimais toujours comme un forcené mais la satisfaction du travail accompli m’a toujours guidé et j’y trouvais mon compte.

 

Puis, petit à petit, mes oisillons ont quitté le nid, après une adolescence plus ou moins tranquille. J’étais heureux quand je conduisais mes filles à l’autel pour leur mariage. Si belles  dans leur robe immaculée, après la cérémonie, elles posaient avec leur nouvel époux sous ton feuillage pour la photo traditionnelle. Mes yeux usés ne se lassent pas de revoir ces images jaunis où tu trône en maître.

 

Hélas, le deuil nous a frappés à plusieurs reprises. La grande faucheuse nous a enlevé  tour à tour des êtres si chers : mon père disparu tragiquement, un frère mort en héros, une belle-fille rongée par la maladie, et un petit-fils qui n’avait pas, lui non plus, demandé à nous quitter si vite. Comment l’être humain peut-il résister à tant d’adversité et supporter tant de blessures, si ce n’est pour mieux goûter les bonheurs à venir.

 

Notre maison n’est plus assez grande pour accueillir la nichée de petits que les enfants nous ont faits et qui égaient nos vieux jours. Comme une revanche sur la vie, nous avons occupé notre retraite par des voyages, de joyeux repas de famille, des discussions entre amis, et mon chemin vers toi ! …..   Mais, là, aujourd’hui …… »

 

S’approchant encore, il s’est penché et a posé sa main tremblante sur la peau ridée du vieil arbre, mêlant ses larmes à la sève qui continue de s’échapper dans un dernier sursaut.

 

« Adieu, mon ami, mon confident. Tu n’as pas choisi de mourir aujourd’hui, et pourtant tu me quittes. Rien ne sera plus comme avant ! »

 

Il a tourné le dos pour ne plus voir ce spectacle affligeant et s’en est allé un peu plus lent, un peu plus courbé sous le poids du chagrin.

 

Plus rien n’a été comme avant : le temps a usé son corps vieillissant et son esprit s’est envolé parfois, laissant des trous béants dans sa mémoire. Il a perdu la seule femme qu’il n’ait jamais aimée et même la tendresse de ses enfants n’a pas suffi à le consoler. Il a glissé doucement dans un sommeil éternel, et a disparu par-delà les nuages, apaisé.

           

Je me plais à  l’imaginer, blotti avec sa chérie  sur la plus haute branche de son vieux tilleul, observant le monde  sous ses pieds, commentant l’absurdité et la bêtise abyssale d’une bonne moitié de l’humanité qui continue à se battre pour des chimères, montrant une fois de plus son caractère déterminé,  content de partager encore  ses réflexions avec son ami de toujours.

 

Je le sais,  car cet homme-là je l’ai bien connu, c’était….. mon père !

 

&

Ce texte se veut un hommage à notre Papa disparu le 20 juin 2014 et m'a été inspiré par les souvenirs qu'il nous a laissés

                                                                                                                       Colette le 18 juin 2019

 

Partager cet article
Repost0
26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 18:08

   Parce que dans la famille, il n'y a pas que moi qui écrit, et que je trouve cette lettre trop belle et très drôle, et avec la permission de celui qui l'a écrite, je vous en fais profiter :

 poseidon.png

Lettre à mon Cadet

     Cyril, demi-dieu de la Grèce antique, avait à sa charge l’habileté et la mémoire.

dsUn jour, de passage sur l’Ile de l’Attention, appelée aussi « Attention à toi », il fût happé par une Déesse (Nitendo la DS !). Elle voulut amoureusement le garder pour elle seule et lui vola toute son attention !

    Quelques décennies plus tard (environ 6 mois), Zeus, pris de colère de ne pas voir revenir l’habileté et la mémoire de son fils, fit statufier la déesse (il retira la pile !), et demanda à Cyril de revenir sur la terre ferme et de partager ses activités avec ses congénères (c’est-à-dire : arrêter de rêvasser et jouer avec ses frères) ; mais hélas quelque chose était perdu pour Cyril….

     Au pr
emier matin, les yeux remplis de sommeil, il versa le lait à côté de son ptit-dej.pngbol et, voulant réparer son étourderie, la nappe coincée dans son pyjama récemment remonté, il embarqua le contenu du petit déje dans une chute «rocambolesque » avec un cri de surprise venant du fonds de sa gorge, hurlant au monde entier (ses frères, sa mère et son père) ! : « J’ai pas fait exprès ! »  . Zeus ne lui en tint pas rigueur mais bien qu’amusé, il se dut de gronder… il émit alors un long pet !!

    
Durant les jours qui suivirent Cyril commit d’autres maladresses et tout en répétant « J’ai pas fait exprès » (c’est rengaine à force non ??), il errait de par le monde … (enfin, dans la maison, c’est déjà bien assez grand !!), à la recherche de ses biens (DS, ordi, wii, télé….) en essayant de se remémorer ce qu’il devait faire ou non.

    
A chaque oubli (ou presque) Zeus se fâchait et lui envoyait des éclairs (à la vanille), la foudre lui caressait les oreilles (entre le pouce et l’index du père, aïe, aïe, ça fait mal !). 

    Malgré tous ces supplices Cyril, le demi-dieu venu sauver le monde à l’agonie, venu résoudre les mystères de l’existence et des origines de la vie sur terre et sur l’olympe n’a toujours pas :
 

    RANGER SES CHAUSSURES QUI TRAINENT DANS LA SALLE DE BAINS !!!

    

            Bonne journée mes petits crapauds d’amour

           Que la vie vous soit douce et ensoleillée

 

            Bisous et à ce soir pour de nouvelles aventure

 

                                   Votre papa qui vous aime.  
Juillet 2013 (par Stéph.)   .

Partager cet article
Repost0
14 juillet 2012 6 14 /07 /juillet /2012 18:38

    MC900382618 Songeur, assis devant ses belles montagnes, Chris qui  venait d’avoir dix ans,  faisait le bilan de sa petite vie… qu’il aurait aimé voir un peu plus amusante.

      Depuis sa naissance, il accumulait les déboires et Dieu sait s’il n’y était pour rien.

     Son grand  frère venait d’avoir deux ans, lorsque Chris fit son entrée dans ce monde. Bien sûr, son papa et sa maman l’avaient désiré, mais de grands bouleversements étaient venus gâcher quelque peu cette naissance. Le papa ayant changé de travail, un déménagement imprévu et l’éloignement  dans des contrées inconnues, loin des papys et mamies, avait provoqué un sérieux  baby-blues chez la maman qui avait dû quitter son  poste pour suivre papa. Elle n’arrivait plus à assumer sa nouvelle vie et  le petit en ressentait comme un grand vide autour de lui.

      Mais, la vie reprenant le dessus,  Chris  devenait un bébé, puis un enfant rieur et très attachant, grâce sans doute à tout l’amour qui l’entourait, et à l’intérêt que lui portait son grand frère, Mike. D’ailleurs qui n’aurait pas fondu de tendresse devant les magnifiques yeux bleus de Chris ?

     Ces deux frères-là étaient tellement différents.  Autant Mike était un petit garçon sérieux, intellectuel et très réservé, autant Chris était attiré par les  outils de papa, essayant de bricoler à son tour, avide de réitérer les «  400 coups » dont il avait entendu parler !

     Lorsque vint le temps de se servir seul de sa cuillère ou de son premier crayon, les Dawson s’aperçurent vite que Chris serait gaucher… Point de drame, laissant faire la nature, ils ne voulurent pas contrarier ce petit « défaut ».

     Bien sûr, l’entrée à l’école maternelle n’y changea rien, et Chris se débrouillait très bien avec sa main gauche. Les années passèrent et permirent à cette gentille famille de trouver un certain équilibre avec ses deux charmants bambins.

    Chris essayait, tant bien que mal, de résister aux assauts de ses copains de classe qui ne manquaient pas de se gausser de lui lorsqu’un exercice devenait difficile pour sa main gauche. Mais Chris avait du caractère et en grandissant, il était bien décidé à ne pas se laisser faire.

     Lorsqu’il eut huit ans, un heureux évènement fut annoncé : Lui et Mike allaient avoir une petite sœur…. D’abord très heureux, Chris se rendit compte qu’il ne serait plus le petit dernier…. Une certaine angoisse le saisit mais elle ne dura que le temps de la grossesse de Maman. Lorsque Lily parut, toute crainte s’était enfuie…. Ce bébé-là était si magnifique ;  il en fut très fier, car à présent, lui aussi devenait un grand frère.

     Mais, mais….. Ne demandez pas à un enfant qui a été gâté pendant huit ans, de faire abstraction d’une pointe de jalousie…. Il lui semblait que toute l’attention de ses parents était maintenant portée uniquement sur Lily. Alors, peu à peu, Chris devint taciturne et accro aux jeux électroniques… Sa main gauche devint très adroite pour frapper sa console ou le clavier de son ordinateur.

     Heureusement, papa et maman veillaient et très souvent, Chris  dut se résigner à jouer avec son frère ou veiller sur sa petite sœur. Les  réunions de famille et autres agapes avec ses parents n’étaient pas vraiment sa tasse de thé et dès qu’il le pouvait, il se réfugiait dans sa chambre pour y retrouver ses jeux.

    Cependant, ne s’avouant pas vaincu par ce qu’il considérait comme un handicap, Chris avait décidé de faire comme son grand frère, et il se mit à étudier le piano avec acharnement, progressant rapidement. D’ailleurs, Mozart lui-même n’était-il pas gaucher !  Chris prenait un plaisir certain à montrer ses talents de pianiste à tous ceux qui venaient à la maison.

     Si, quelques fois, les Dawson devaient se fâcher pour qu’il fasse ses devoirs, somme toute, ses résultats scolaires n’étaient pas si mauvais, et il se prenait à rêver qu’il était aussi fort que Mike, avec en plus cette petite particularité qui le distinguait des autres. Et puis Lily, en grandissant, devenait très intéressante, et il allait pouvoir lui apprendre des tas de choses, surtout celles qui étaient défendues !  L’harmonie qui  régnait entre ces trois enfants faisait plaisir à voir.

     Chris trouvait petit à petit sa place de cadet, pas la meilleure certes, car il aurait voulu prouver au monde entier que sa « gaucherie » ne l’empêchait pas d’être quelqu’un de bien.

  

     Le destin allait lui donner un petit coup de pouce…

  

     Il avait beaucoup neigé ce mercredi matin, "Ppa"  et "Mman " étaient au boulot,  Mike au collège et Lily chez sa nurse ; Chris décida de faire une partie de bob dans l’immense pré entourant leur cottage. Il aimait tant admirer les White Mountains enneigées qui  se profilaient  en  dents de scies sur le ciel bleu du New Hampshire. Il s’en donna à cœur joie une grande partie de la matinée, détrempant sa tenue de ski, mais qu’importe…. Seul, face à cette immensité blanche, le monde lui appartenait.

      Lorsqu’ il commença à avoir froid aux pieds, il décida qu’il était temps de regagner la maison.     Il aperçut alors un immense nuage de fumée noire, à proximité de la ferme des DAVIS, deux septuagénaires qui coulaient une paisible retraite, à quelques centaines de mètres de chez Chris.

     D’abord intrigué, Chris  rangea sa luge dans le hangar, et rentra à la maison pour se sécher. Au bout de quelques minutes, il vint coller son nez à la fenêtre et s’aperçut que la fumée rougeoyait… mais oui, ce sont bien des flammes qu’il apercevait.

     Alors, tout se passa très vite dans sa tête….. Il prit le téléphone et composa le 911 …. L’homme qui lui répondit fut d’abord étonné et crut à une plaisanterie.

- Tu es sûr mon bonhomme ? … Il  y aurait un incendie ? -

- Oui, Monsieur, venez vite, je vous en prie, les flammes sont très hautes, et dans la maison, il y a deux vieilles personnes, même que M. DAVIS, il est malade, il ne peut plus marcher ! Vite, vite !

   En effet, M. Davis, avait subi l’année précédente un accident vasculaire cérébral qui lui avait laissé des séquelles importantes, et il était désormais condamné à se déplacer en fauteuil roulant.

   Chris, n’écoutant que son courage, rechaussa en vitesse ses bottes, enfila le premier blouson qu’il trouva, n’oubliant pas son bonnet et son écharpe et sortit de la maison comme une fusée. Il se mit à courir aussi vite qu’il le put sur le chemin enneigé. Il savait que les pompiers n’arriveraient pas de sitôt, à cause notamment de la neige abondante sur la petite route menant chez lui, puis chez les Davis. Tous les hivers c’était la même rengaine, papa était de corvée de déneigement, car dans ce coin perdu, bien au-dessus de la ville de Conway, les engins arrivaient toujours  tardivement. Et puis la neige s’était mise à tomber après le départ de papa, alors…..

   Elle tourbillonnait furieusement et les gros flocons venaient se plaquer sur le visage de Chris. Chaque pas demandait un effort incroyable et bientôt les jambes de Chris s’enfoncèrent à mi- mollet dans le tapis neigeux. L’angoisse le tenaillait mais l’envie d’arriver à temps le portait et le poussait à accélérer l’allure.

   Enfin, il aperçut la « cabane » des Davis, comme il l’appelait, car construite uniquement en bois, selon la tradition du « presque Québec ». Papa, lui, avait voulu une vraie maison en dur pour sa famille, réminiscence d’aïeux français sans doute. Chris se dit qu’il avait eu une sacrée bonne idée là.

   Saisi par l’ampleur des flammes qui s’élevaient au-dessus de la cabane, Chris se figea un instant. Les leçons de sécurité apprises à l’école se bousculaient dans sa tête… Se protéger le visage, marcher à ras du sol… Il fonça à l’intérieur de la cabane et appela les occupants :

-  Monsieur Davis, Madame Davis, où êtes-vous ? Etes-vous blessés ?

La voix de Mme Davis s’éleva comme une plainte :

-  Vite, par ici, nous sommes coincés….. Je ne peux plus bouger M.Davis !

   La fumée, de plus en plus dense, faisait comme un rideau noir et Chris avait beaucoup de difficultés à apercevoir quoi que ce soit ; la chaleur à l’intérieur était intense et contrastait fortement avec l’extérieur.

    Enfin, Chris aperçut, au fond de la cuisine, Mme Davis penchée sur M. Davis…. Celui-ci semblait endormi, affalé dans son fauteuil roulant.

-     Viens vite Chris, je n’arrive pas à sortir le fauteuil roulant… C’est trop lourd, et il y a tous ces morceaux de bois tombés qui me gênent.

     Chris s’avançait dans l’enchevêtrement de poutres et gravas, tenant sur son visage son écharpe qu’il avait mouillée dans la neige avant d’entrer. Mme Davis commençait à avoir des difficultés à respirer, à cause de l’épaisse fumée qui emplissait ses poumons. Chris saisit  un torchon accroché près de l’évier, le mouilla au robinet et demanda à Mme Davis de l’appliquer sur sa bouche.

     Avec des efforts surhumains, il poussa de toutes ses forces le fauteuil roulant…. C’est vrai qu’il était lourd le « Dada », comme l’appelait gentiment Chris depuis sa petite enfance. La pauvre Mme Davis, complètement paniquée, s’accrochait à son bras gauche, entravant encore plus sa marche vers la sortie.

-  Mme Dada, prenez plutôt mon bras droit….. On y arrivera mieux !

     A ce moment-là, dans un craquement sinistre, la poutre maîtresse de la toiture se fendit et se mit à basculer vers eux : Chris crut alors que  s’en était fini de leurs vies. Dans un réflexe qu’il ne saurait expliquer, il projeta d’un coup  violent le fauteuil vers l’avant, et se jeta sur la pauvre Madame Davis pour la protéger.

    Ce geste les sauva de la vilaine poutre qui alla s’écraser à quelques centimètres d’eux. En se relevant, Chris aperçut le drôle d’angle formé par  son bras droit et son avant-bras. Une douleur fulgurante le transperça, mais à la vue de Mme Dada qui se relevait péniblement, mais sauve, il n’eut plus qu’une idée en tête : sortir de cet enfer.

    C’est avec soulagement qu’ils parvinrent jusqu’à la porte d’entrée, encore étrangement debout alors que la quasi-totalité de la demeure était en cendres !

Le son de la sirène du camion  des pompiers qui approchait, projetant des gerbes de neige sur les bas-côtés, ne lui avait jamais paru si belle mélodie ; l’ambulance suivait ainsi que la police, et bien sûr, comme toujours dans ces cas-là, la cohorte habituelle de « journaleux » locaux friands du moindre évènement.

     Chris avait pris soin d’envelopper Mme Dada et son mari dans la couverture que celui-ci ne quittait jamais. A les voir ainsi, Mme Davis sur les genoux de M. Davis, tous deux dans le fauteuil roulant, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’amoureux tendrement enlacés !  Cette pensée fit sourire Chris, malgré cette  douleur lancinante au bras.

     Les pompiers maitrisèrent sans peine l’incendie qui avait dévoré presque toute la maison des Davis. Le médecin prit en charge les Davis en priorité, en raison de leur grand âge, et lorsqu’enfin il se tourna vers Chris, il fut stupéfait de rencontrer dans le regard de Chris une détermination incroyable, malgré sa vilaine fracture au coude ; seule la pâleur de son visage  reflétait sa souffrance. Bien sûr, les journalistes voulaient l’interroger tout de suite, mais le médecin fut intransigeant :

-  Direction l’Hôpital…. La presse ce sera pour demain.

     Les Davis et Chris furent conduits rapidement à l’Hôpital, enfin aussi vite que la neige le permettait ! Pendant le trajet, Chris, soulagé par un antidouleur puissant, songeait  à la tête que ferait maman lorsqu’elle accueillerait son fils au service des urgences dans lequel elle travaillait !

     La surprise, la peur rétrospective, les questions bouleversaient  maman qui, pour un instant, en oublia ses devoirs professionnels. Elle fut ramenée à la réalité par le médecin chef de service : il sollicitait son aide pour soigner tout ce petit monde. Tout se déroula au mieux, et bientôt, M. et Mme Davis se retrouvèrent en couple dans une jolie chambre. Pas de bobos pour Mme Davis, si ce n’est une grande frayeur. Quant à M. Davis qui avait perdu connaissance dès le début de l’incendie, il ne s’était rendu compte de rien et se demandait bien ce qu’il faisait à l’hôpital.

     Chris eut droit à une jolie chambrette confortable avec téléviseur et toutes commodités. Maman promit de lui apporter dès le lendemain sa console de jeux, avec bien sûr de nouveaux jeux, et de nombreux livres, autre pêché mignon de Chris. Il serait immobilisé plusieurs semaines à cause de son bras, mais qu’importe, ils étaient tous sains et saufs.

     Le lendemain, après une nuit quelque peu agitée et peuplée de cauchemars de feu, Chris reçut la visite du journaliste de la gazette du coin. Curieux, celui-ci lui posa des centaines de questions sur sa vie, sur l’incendie et son acte d’héroïsme. Il lui dit :

-  Tu dois être bien handicapé avec ton bras droit immobilisé ?

Chris dans un grand éclat de rire, rétorqua :

-  Pas du tout, je suis gaucher, et pour une fois que ça sert à quelque chose ! Mes copains ne pourront plus dire que je suis gauche !

     Le journaliste qui en connaissait un rayon chez les gauchers,  lui raconta des anecdotes sur des gauchers célèbres, citant Mozart,  Charlie CHAPLIN, Bill GATES, Jimi HENDRIX, le mime MARCEAU,  Paul VERLAINE, Léonard de VINCI, LADY GAGA ajoutant que Dean R.Campbell, un de leur compatriote , avait  créé aux États-Unis en 1975 le premier syndicat de gauchers, et décidé en 1976 d’instaurer une "journée des gauchers". Il a choisit le 13 août qui coïncidait cette année-là avec un vendredi, ce qui est considéré comme un jour de chance.
Ainsi, le 13 août de chaque année "La Journée Internationale des Gauchers" donne l’occasion aux gauchers d’inviter les droitiers à prendre conscience des efforts d’adaptation qu’ils doivent faire dans un environnement qui leur est défavorable. Cette journée est maintenant devenue internationale. Puis le journaliste finit par dire :

Même notre Président est gaucher…. Tiens, ça me donne une idée !....

     Les jours suivants, la presse se fit l’écho de l’évènement à grand renfort d’articles et de photos de Chris et de la maison en cendres. Toute la région était au courant. Les copains d’école se rendirent tour à tour au chevet de Chris, lui portant de menus cadeaux qu’il reçut avec beaucoup de plaisir. Cent fois il dut raconter son épopée, sans se lasser, le cœur gonflé de fierté….

    Papa avait pleuré en serrant son fils dans ses bras, promettant de ne plus jamais critiquer sa gaucherie. Mike racontait dans tout le collège les exploits de son frère, montrant sa photo, découpée dans les journaux. Quant à Lily, elle câlinait Chris sur son lit d’hôpital et ne voulait plus le quitter  le soir venu. Toutes les collègues de maman étaient aux petits soins pour Chris. Jamais séjour à l’hôpital ne fut plus agréable !

     Puis ce fut le retour à la maison. La neige avait fondu, et le printemps pointait le bout de
son nez. Il régnait dans le cottage, un air de fête quotidien, et cette aventure avait encore renforcé
les liens de cette famille, Tous  avaient accepté  de bon coeur d’héberger M. et Mme Davis pendant les travaux de reconstruction de leur bicoque. Lily était toute heureuse d’avoir trouvé un papy et une mamie supplémentaires…. Et les Davis étaient en adoration devant Chris qui leur avait sauvé la vie.

     Bientôt, il ne resterait de cet épisode qu’un souvenir et quelques photos…. C’était sans compter sur l’opiniâtreté de Paul Newman, le journaliste (pas l’acteur) qui,  grâce à son nom, comptait des relations avec les plus hautes sphères de la politique ….

     Par un beau matin ensoleillé de Juin, alors que la famille Dawson avaient tourné la page et que l’incendie était classé au rang des « choses qui arrivent dans la vie »,  un courrier leur parvint au nom de Chris. Maman était curieuse de savoir ce qu’il contenait, mais laissa à son fils le soin d’ouvrir l’enveloppe scellée d’un bel écusson officiel.

     D’abord  incrédule, Chris finit par lire tout haut cette lettre qui provenait de l’Hôtel de Ville de Conway :

 


 

Etat du New Hamphsire

Ville de Conway

A

Monsieur Chris   Dawson

Cottage du Moulin

Kangamagus-Hwy

  CONWAY

 

Au nom du Président des Etats Unis

Le Maire et les Conseillers

Vous prie de bien vouloir assister

A la Cérémonie organisée en votre honneur

Le samedi 5 juillet prochain à 18 heures

Dans la grande salle des célébrations de l’Hôtel de Ville

 

 

   Etait-ce une plaisanterie ? Chris retourna le feuillet plusieurs fois dans ses mains, maman le lut et le relut….  C’était bien une lettre en provenance de l’hôtel de ville, le cachet officiel le confirmait.

     Les semaines suivantes furent bien agitées, chacun y allant de son idée sur la cérémonie… Pourquoi moi se disait Chris… Mike imaginait même que le Président serait là ! Lily n’y comprenait rien, mais participait en riant aux débats ! Papa et Maman éprouvaient une fierté mêlée d’angoisse : il allait falloir répondre aux médias, et ils n’avaient pas l’habitude d’exposer ainsi leur vie.

   Enfin, le grand jour arriva. Chacun eut à cœur de se mettre sur son « trente et un ». Papa avait choisi sa plus belle cravate ! Maman était passée chez le coiffeur, avec Lily bien sûr. Toutes  deux ressemblaient à des princesses. Mike avait enfin accepté de se faire couper les cheveux, trop longs au goût de tous. Quant à Chris, avec son pantalon blanc, sa chemise du même bleu que ses yeux et ses cheveux blonds comme les blés, il aurait fait pâlir  d’envie tous les princes scandinaves !

    Ils se tenaient maintenant tous les cinq debout dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, muets d’admiration pour les boiseries et les tableaux qui ornaient les murs. M. et Mme Davis étaient présents aussi, serrés autour de Chris… même Lily, d’habitude si bavarde, restait silencieuse, impressionnée par le nombre de notables qui les entouraient.  La tension était palpable autour des Dawson, malgré l’accueil chaleureux de l’Assistante du Maire… Chris s’impatientait de savoir ce qui l’attendait….

     Au bout de quelques minutes qui lui semblèrent des heures, Chris aperçu le Premier Magistrat de la Ville faisant son entrée dans le grand salon. Un sourire éclairait son visage et il se dirigea tout droit vers la famille Dawson, après avoir serré la main de Dawson et des Davis, il s’adressa à Chris :

-      Je crois que tu es Chris, on ne peut pas te  louper, ta photo a fait largement la une des journaux ! J’ai une surprise pour toi, mais avant je vais faire un petit discours, si tu le permets.

Chris ne sut que répondre et intimidé, baissa la tête.  Le Maire se dirigea vers une estrade et entama son discours :

-   M. et Mme Dawson, Chris, Mike et bien sûr Lily, nous sommes aujourd’hui fiers de vous accueillir dans ces murs qui ont vu passé tant de notoriété. Nous voulons rendre hommage à Chris qui a fait preuve d’un courage exemplaire en se portant au secours de M. et Mme Davis ; grâce à lui et à son sang-froid, nous avons la joie de les compter parmi nous pour cette petite cérémonie. Nous disons bravo Chris, et parce que tu es devenu, toi aussi une célébrité, bien plus importante que le Maire d’une petite ville, nous avons voulu que notre reconnaissance soit portée par un personnage digne de ton courage…. Mesdames et Messieurs, je vous remercie d’accueillir chaleureusement le plus grand homme des Etats-Unis.

C’est alors que Chris crut qu’il faisait un rêve tout éveillé….

 

    Décontracté, souriant dans son pantalon bleu et sa chemise blanche, il était tel que Chris l’admirait à la télévision…  Chris se tourna vers Papa avec une interrogation dans les yeux, papa lui répondit par un petit clin d’œil… Tiens ! tiens ! Papa ne semble pas surpris…. Mike qui ne manquait jamais d’esprit d’à propos, sortit son mobile et mit le caméscope en marche….

     Oui, c’est bien lui, le Président des Etats-Unis en personne qui se dirige tout droit vers Chris et le serre dans ses bras !!! Oh ! là là…. les copains ne vont pas s’en remettre !

     L’Assistante du Maire s’approcha et tendit un petit écrin à M. OBAMA.

En accrochant, de sa main gauche, la médaille sur la poitrine de Chris, le Président prononça ces mots :                                                                                                                                                                    95px-PresMedalFreedom.jpg

-    Chris… Au nom des Etats-Unis d’Amérique, je te remets la Presidential Medal of Freedom pour le courage dont tu as fait preuve, en sauvant M. et Mme DAVIS  au péril de ta vie. Que ton acte soit un exemple pour toute la jeunesse américaine. Sois fier de ton geste  comme nous le sommes tous. Que ton avenir  soit tel que tu l’as souhaité, plein de joies et de richesse.

       Muet, raidi dans sa timidité, Chris n’arrivait pas à réaliser ce qui lui arrivait. Le Président lui donna une poignée de main, gauche bien sûr et le gratifia d’une accolade amicale en lui murmurant à l’oreille : On les a bien eus avec notre gaucherie, hein ???  Ce qui eut pour effet de détendre instantanément  Chris.

     Puis le verre de l’amitié fut servi avec quelques petits fours qui régalèrent notre gourmand de Chris. Le Président allait de l’un à l’autre, avec son sourire inégalable, il avait la manière de mettre tout le monde à l’aise. Chris, bien sûr était le point de mire de tous, mais maintenant il se sentait décontracté sur son petit nuage.

     Le Président se rapprocha une nouvelle fois de lui pour un brin de causette.

-     Tu sais, lui dit-il, hier c’était l’Indépendance Day. J’aurais aimé que cette cérémonie puisse se faire ce jour-là, mais évidemment j’avais d’autres obligations à Washington … Mais l’essentiel est que tu sois récompensé… A dix ans, tu es devenu le plus jeune héros du New Hampshire. Je vais te faire inscrire dans le Livre des Records.

-   Vraiment la médaille c’est déjà un beau cadeau. Et je ne sais pas si je peux encore figurer dans le Livre des Records, car aujourd’hui, j’ai onze ans, Monsieur.
- Oui, je sais, Chris…. Et comme c’est ton anniversaire, tu peux me demander ce que tu veux…. Sauf la lune, bien sûr !

     Dubitatif, Chris se gratta la tête, en signe de réflexion :

-    Il faut que je réfléchisse, j’aimerais avoir tellement de choses….

     Il regardait partout, cherchant l’inspiration auprès des siens…. Puis soudain :

 

-     Ah ! si… monsieur le Président, il y a une urgence : Vous pourriez offrir un fauteuil électrique à M. Davis ? Mme Davis n’a plus assez de force  pour le pousser… et c’est vrai que c’est difficile dans la neige !

 

FIN

  Toute ressemblance avec des faits et personnages existants serait fortuite 

  Colette -  Juillet 2012 

Partager cet article
Repost0
31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 15:11



        "Mamie, mamie, raconte-moi encore une histoire ! 
       Ne t’en fais pas, mon chéri, je vais t’en dire une dont tu te souviendras toute ta vie."
                                               &                                  

       Ce matin, quand elle avait ouvert ses volets, Elisabeth avait découvert ce ciel gris et bas qui plombait sa Lorraine depuis plusieurs jours. Encore du brouillard à vous donner le cafard pour la journée. Mais bon, quand il faut y aller, il faut y aller. Programme de la journée : ce matin, ménage, repassage, ne pas oublier d’apurer les comptes et se préparer un petit « frichti » pour midi. Après, comme tous les jours, prendre la route pour aller voir son petit Benjamin.

       Depuis deux mois qu’il était alité dans ce grand Centre Hospitalier, à cause d’une saleté de maladie qui lui avait déjà rogné un rein, Elisabeth parcourait tous les après-midi, sans déroger, les 70 kilomètres qui les séparaient,  pour  tenir compagnie à son petit-fils et lui faire oublier sa douleur.

      La sentence était tombée alors que Ben, comme tous l’appelaient familièrement, avait à peine deux ans. Une anomalie génétique détruisait lentement ses « petits rognons », comme il se plaisait à les appeler. Rien ne pouvait arrêter cet engrenage, et alors qu’il avait six ans, une première opération l’amputait de l’organe le plus atteint.

       Et là, à peine trois ans plus tard, parce que la maladie avait gagné sur sa volonté d’être un petit garçon comme les autres, il était couché dans une chambre stérile, avec pour seul songe :   un petit rognon tout neuf. 

Mais avec son caractère bien trempé, Ben en étonnait plus d’un. D’un naturel enjoué  et plein de gentillesse, il avait réussi à conquérir tout le service. Ce gosse consolait même ses parents quand il leur arrivait  de douter de l’avenir. Elisabeth et lui avaient tissé des liens indéfectibles. Comment en aurait-il pu être autrement : Ben passait ses vacances et tous ses mercredis chez sa Mamie, devenue sa « Nounou » dès la naissance. Clémence, la fille d’Elisabeth, n’avait voulu confier son bébé à personne d’autre, et ça tombait bien, car Papy était parti bien trop tôt, après des années de dialyse, victime lui aussi de ce satané gène.

La grand-mère roulait maintenant depuis une dizaine de kilomètres, se moquant bien de la pluie qui frappait son pare-brise.  Elle n’avait d’ailleurs pas le choix, il n’y avait pas de transports en commun dans son village. Mais qu'importe, elle allait retrouver son petit, et surtout elle  lui apportait une surprise, non, plutôt deux. D’abord ce  magnifique livre de contes déniché à la bibliothèque municipale ; elle aurait plein d’histoires à lui raconter ! Et à l’intérieur du livre, une lettre qu’elle avait  lue et relue cent fois depuis le passage du facteur. Un miracle était en train de se préparer. Les résultats des nombreux examens médicaux étaient là : compatibilité parfaite! Elle caressa délicatement le bouquin posé sur le siège passager, ses pensées s’envolèrent vers Benjamin. "Tu vas pouvoir enfin vivre mon bébé, courir, jouer au ballon avec tes copains et même  t’inscrire à ce club de vélo !  Ce sera un peu de mon héritage que tu vas recevoir. C’est merveil….. " 

       Le choc fut effroyable, le bruit insupportable….. En une fraction de seconde, tout bascula. Elisabeth ne sentait plus son corps, puis tout devint noir. Après quelques minutes, il lui sembla distinguer une lumière. Elle était bien,  comme dans un bain de coton, une main l’attirait irrésistiblement vers cette belle lueur. Elle avait bien envie de se laisser aller, mais une voix la tira de sa torpeur : "Madame, Madame, répondez-moi… vous m’entendez ? " Elle aperçut des ombres se penchant sur elle ; elle comprit alors que quelque chose de terrible venait de se produire. Étrangement, elle n’avait mal nulle part et sa première pensée se tourna vers Ben.  Il lui semblait que les mots  qu’elle prononça sortaient de la gorge d’une étrangère : "Portefeuille… carte….. lettre ….. hôpital… vite, vite ! " . Elle répéta de nombreuses fois : vite, vite, jusqu’à l’épuisement, pendant que les secours essayaient de la désincarcérer d’un amas de ferraille inextricable, et de la maintenir en vie. Tous s’activaient autour d’elle ; un pompier finit par trouver la lettre du laboratoire et sa carte de donneur d’organes.

      Mais Elisabeth était retournée dans cet endroit étrange où elle s’était sentie si bien tout à l’heure. Plus de douleurs, plus de peur, et là-bas comme un Eden qui l’attendait. Elle savait que le jour était venu pour Ben, il allait enfin revivre grâce à elle ; il fallait seulement qu’ils se dépêchent tous ces gens autour d’elle.

Puis ce furent les derniers mots qu’il lui sembla entendre en provenance de la terre : "Mort cérébrale ! ".  Alors commença pour elle une longue ascension vers cette étincelle qui l’éblouissait un peu. Son corps ne lui répondait plus, mais son âme parlait encore :

"Ne sois pas triste, mon Benjamin, je serai toujours avec toi, en toi. Tu sais bien que je voulais te le donner ce petit rognon. Alors, n’oublie jamais que je t’aime très fort, et prends-en bien soin. Là-haut, dans le Ciel avec Papy, on va te surveiller, et si tu fais des bêtises…. On viendra te chatouiller les pieds  la nuit ! "

                                                                                    --------            

          C’est l’anniversaire de Benjamin. Il a eu 25 ans il y a quelques mois, et pourtant c’est seulement aujourd’hui qu’il veut fêter ce jour spécial. Debout devant la tombe de ses grands-parents, il leur parle, leur raconte sa vie, son travail, la compétition de vélo qu’il a gagnée le week-end dernier, et surtout sa gentille femme et leur petite fille qu’ils ont appelée Elisa.

           "Tu sais, Mamie, elle est tellement belle, presque autant que toi, avec ses jolis yeux bleus comme les tiens  et bientôt je lui lirai le beau livre que tu m’apportais ce jour-là. Je voulais aussi te dire que parfois, la nuit, je ressens des sensations bizarres dans les pieds…..  Comme des chatouillis !  "

Colette - Printemps des Poètes 2012 -

3ème prix "Nouvelles" de la Ville de Neufchâteau

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : La souris de la rime
  • : Les mots que l'on aime sont faits pour être ensemble, et faire rêver.
  • Contact

Recherche