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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 15:11



        "Mamie, mamie, raconte-moi encore une histoire ! 
       Ne t’en fais pas, mon chéri, je vais t’en dire une dont tu te souviendras toute ta vie."
                                               &                                  

       Ce matin, quand elle avait ouvert ses volets, Elisabeth avait découvert ce ciel gris et bas qui plombait sa Lorraine depuis plusieurs jours. Encore du brouillard à vous donner le cafard pour la journée. Mais bon, quand il faut y aller, il faut y aller. Programme de la journée : ce matin, ménage, repassage, ne pas oublier d’apurer les comptes et se préparer un petit « frichti » pour midi. Après, comme tous les jours, prendre la route pour aller voir son petit Benjamin.

       Depuis deux mois qu’il était alité dans ce grand Centre Hospitalier, à cause d’une saleté de maladie qui lui avait déjà rogné un rein, Elisabeth parcourait tous les après-midi, sans déroger, les 70 kilomètres qui les séparaient,  pour  tenir compagnie à son petit-fils et lui faire oublier sa douleur.

      La sentence était tombée alors que Ben, comme tous l’appelaient familièrement, avait à peine deux ans. Une anomalie génétique détruisait lentement ses « petits rognons », comme il se plaisait à les appeler. Rien ne pouvait arrêter cet engrenage, et alors qu’il avait six ans, une première opération l’amputait de l’organe le plus atteint.

       Et là, à peine trois ans plus tard, parce que la maladie avait gagné sur sa volonté d’être un petit garçon comme les autres, il était couché dans une chambre stérile, avec pour seul songe :   un petit rognon tout neuf. 

Mais avec son caractère bien trempé, Ben en étonnait plus d’un. D’un naturel enjoué  et plein de gentillesse, il avait réussi à conquérir tout le service. Ce gosse consolait même ses parents quand il leur arrivait  de douter de l’avenir. Elisabeth et lui avaient tissé des liens indéfectibles. Comment en aurait-il pu être autrement : Ben passait ses vacances et tous ses mercredis chez sa Mamie, devenue sa « Nounou » dès la naissance. Clémence, la fille d’Elisabeth, n’avait voulu confier son bébé à personne d’autre, et ça tombait bien, car Papy était parti bien trop tôt, après des années de dialyse, victime lui aussi de ce satané gène.

La grand-mère roulait maintenant depuis une dizaine de kilomètres, se moquant bien de la pluie qui frappait son pare-brise.  Elle n’avait d’ailleurs pas le choix, il n’y avait pas de transports en commun dans son village. Mais qu'importe, elle allait retrouver son petit, et surtout elle  lui apportait une surprise, non, plutôt deux. D’abord ce  magnifique livre de contes déniché à la bibliothèque municipale ; elle aurait plein d’histoires à lui raconter ! Et à l’intérieur du livre, une lettre qu’elle avait  lue et relue cent fois depuis le passage du facteur. Un miracle était en train de se préparer. Les résultats des nombreux examens médicaux étaient là : compatibilité parfaite! Elle caressa délicatement le bouquin posé sur le siège passager, ses pensées s’envolèrent vers Benjamin. "Tu vas pouvoir enfin vivre mon bébé, courir, jouer au ballon avec tes copains et même  t’inscrire à ce club de vélo !  Ce sera un peu de mon héritage que tu vas recevoir. C’est merveil….. " 

       Le choc fut effroyable, le bruit insupportable….. En une fraction de seconde, tout bascula. Elisabeth ne sentait plus son corps, puis tout devint noir. Après quelques minutes, il lui sembla distinguer une lumière. Elle était bien,  comme dans un bain de coton, une main l’attirait irrésistiblement vers cette belle lueur. Elle avait bien envie de se laisser aller, mais une voix la tira de sa torpeur : "Madame, Madame, répondez-moi… vous m’entendez ? " Elle aperçut des ombres se penchant sur elle ; elle comprit alors que quelque chose de terrible venait de se produire. Étrangement, elle n’avait mal nulle part et sa première pensée se tourna vers Ben.  Il lui semblait que les mots  qu’elle prononça sortaient de la gorge d’une étrangère : "Portefeuille… carte….. lettre ….. hôpital… vite, vite ! " . Elle répéta de nombreuses fois : vite, vite, jusqu’à l’épuisement, pendant que les secours essayaient de la désincarcérer d’un amas de ferraille inextricable, et de la maintenir en vie. Tous s’activaient autour d’elle ; un pompier finit par trouver la lettre du laboratoire et sa carte de donneur d’organes.

      Mais Elisabeth était retournée dans cet endroit étrange où elle s’était sentie si bien tout à l’heure. Plus de douleurs, plus de peur, et là-bas comme un Eden qui l’attendait. Elle savait que le jour était venu pour Ben, il allait enfin revivre grâce à elle ; il fallait seulement qu’ils se dépêchent tous ces gens autour d’elle.

Puis ce furent les derniers mots qu’il lui sembla entendre en provenance de la terre : "Mort cérébrale ! ".  Alors commença pour elle une longue ascension vers cette étincelle qui l’éblouissait un peu. Son corps ne lui répondait plus, mais son âme parlait encore :

"Ne sois pas triste, mon Benjamin, je serai toujours avec toi, en toi. Tu sais bien que je voulais te le donner ce petit rognon. Alors, n’oublie jamais que je t’aime très fort, et prends-en bien soin. Là-haut, dans le Ciel avec Papy, on va te surveiller, et si tu fais des bêtises…. On viendra te chatouiller les pieds  la nuit ! "

                                                                                    --------            

          C’est l’anniversaire de Benjamin. Il a eu 25 ans il y a quelques mois, et pourtant c’est seulement aujourd’hui qu’il veut fêter ce jour spécial. Debout devant la tombe de ses grands-parents, il leur parle, leur raconte sa vie, son travail, la compétition de vélo qu’il a gagnée le week-end dernier, et surtout sa gentille femme et leur petite fille qu’ils ont appelée Elisa.

           "Tu sais, Mamie, elle est tellement belle, presque autant que toi, avec ses jolis yeux bleus comme les tiens  et bientôt je lui lirai le beau livre que tu m’apportais ce jour-là. Je voulais aussi te dire que parfois, la nuit, je ressens des sensations bizarres dans les pieds…..  Comme des chatouillis !  "

Colette - Printemps des Poètes 2012 -

3ème prix "Nouvelles" de la Ville de Neufchâteau

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commentaires

M
<br /> Bravo Coco  , mais moi je craque pour DON D'AMOUR très émouvant !<br />
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L
<br /> <br /> Merci, merci, ça cogite encore dans ma tête.... donc bientôt du nouveau. Merci pour les encouragements. Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> un grand bravo Colette, j ai un gros coup de coeur pour la nouvelle "nouvelle"! super!!<br />
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L
<br /> <br /> Merci Séverine, enfin un commentaire (celui de mon homme ça compte pas !!!)..... Donc je persévère. A bientôt<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Elle est douée ma petite femme : écrivaine, poète, douceur et miel.... que rêver de plus !!! C'est pour ça que je l'aime, elle me surprende toujours.<br />
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